Rétro-running : Jules Ladoumègue
Aujourd’hui tombé dans l’oubli, Jules Ladoumègue fut pourtant le sportif français le plus populaire de l’Entre-deux-guerres. Un véritable géant du demi-fond, que la vie n’a pas épargné…
Il avait des jambes aussi célèbres que celles de Mistinguett. Bientôt, des stades et des centres sportifs porteraient son nom et l’expression « courir comme Ladoumègue » passerait dans le langage courant. La France des années 1930 a aimé Jules Ladoumègue comme un seul homme, touchée par son talent sublime et son destin terrible. Depuis sa naissance dans la banlieue bordelaise, en décembre 1906, jusqu’à sa traversée triomphale de Paris devant 400 000 personnes, l’existence de « Julot » a ressemblé à une longue succession d’événements merveilleux et dramatiques. Et sa trajectoire fulgurante, stoppée nette en pleine gloire, surpasse la fiction. La vie de Jules Ladoumègue bascule dans la tragédie dès sa naissance. Le nouveau-né ne connaîtra jamais son père, contremaître sur les docks, disparu quelques semaines plus tôt, écrasé sous des piles de bois. Et il a 17 jours quand sa mère, brûlée dans un incendie en le sauvant, décède de ses blessures. Recueilli par son oncle et sa tante, le petit Jules ne tarde pas à découvrir l’athlétisme et à remporter ses premiers cross, avant de rallier la capitale et le club du Stade Français. Devenu international, le spécialiste du demi-fond à la foulée si déliée (2,25 m d’amplitude) se fait un nom en arrachant l’argent sur l’épreuve du 1 500 m aux jeux Olympiques d’Amsterdam (1928). Deux ans plus tard, Jules, plus à l’aise dans l’affrontement contre le chrono que dans la lutte d’homme à homme, réussit une série éblouissante : faire tomber six records du monde à la suite. Du jamais vu. Entre octobre 1930 et octobre 1931, du kilomètre au 2 000 m, aucune marque, aucun chrono ne lui résiste. Même celui du mile, détenu par la légende finlandaise Paavo Nurmi, vole en éclats. L’invincible Jules Ladoumègue n’a pas encore 25 ans, et sa carrière s’écrit déjà au passé.
En plein vol
Le 4 mars 1932, en plein conflit entre amateurs et professionnels, la Fédération française d’athlétisme choisit de faire un exemple en radiant l’enfant prodige, coupable d’avoir touché de l’argent pour courir. L’affaire secoue le pays. Malgré la popularité immense du champion et le soutien de célébrités comme l’écrivain Jean Giraudoux, l’instance sportive reste inflexible. Le sentiment d’injustice va créer une mobilisation inédite. Le 10 novembre 1935, le quotidien Paris-Soir et ses amis organisent en son honneur une course exhibition de la porte Maillot à la place de la Concorde. Une marée humaine se masse sur les trottoirs parisiens pour toucher l’idole et scander son nom. Devant 400 000 spectateurs en liesse – un succès comme on n’en verra plus jusqu’à la victoire des Bleus au Mondial 98 –, Jules Ladoumègue dévale les Champs-Elysées. Le banni tient sa revanche, mais devra encore patienter huit longues années avant d’être officiellement réhabilité. Le plus grand coureur français de l’Entre-deux-guerres deviendra vedette de music-hall, journaliste à la radio et fera même des apparitions sur les pistes de cirques. Il s’éteint en 1973, vaincu cette fois par un adversaire plus fort que lui, le cancer.
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