Premiers extraits de « Born to run » en exclusivité [1/5]
Bible du minimalisme aux USA, oeuvre fondamentale pour toute une génération de coureurs, Born to Run, le livre culte de Christopher McDougall est enfin traduit en français après plus de trois ans d’attente. Récits d’aventures et de courses, portraits haut en couleur, anthropologie et science se télescopent dans ce docu-roman captivant. La trame : un journaliste américain, runner à ses heures, se lance sur la piste d’une tribu indienne de super athlètes insaisissable, les Tarahumaras.
Chapitre II
Tout a commencé par une question toute bête à laquelle personne ne pouvait répondre. Cette énigme en six mots allait me conduire à la photo d’un homme très rapide vêtu d’une jupe très courte, puis à un mystère qui ne devait cesser de s’épaissir.
Bientôt, j’allais me trouver face à un meurtre, à une guérilla des narcotrafiquants et à un manchot coiffé d’un pot de fromage frais. J’allais tomber sur une garde forestière – une blonde superbe – qui avait trouvé sa voie en galopant nue dans les bois de l’Idaho, sur une surfeuse à couettes courant vers sa propre mort dans le désert. Un jeune coureur de talent allait perdre la vie et deux autres devaient s’en tirer de justesse.
Plus tard, je croiserais Batman aux pieds nus, le Naturiste, des Bochimans du Kalahari, un amputé des ongles, des adeptes de l’ultrafond et des orgies, l’homme sauvage des Blue Ridge Mountains et, au bout du compte, la tribu ancestrale des Tarahumaras et leur insaisissable disciple, Caballo blanco.
Je finirais par trouver ma réponse après avoir été mêlé à la plus grande course que le monde ait connue, l’Ultimate Fighting de la course à pied, qui mettrait les meilleurs spécialistes actuels de l’ultrafond aux prises avec les meilleurs coureurs de grand fond de tous les temps sur 80 kilomètres de sentiers improbables que seuls les Tarahumaras avaient foulés.
Je réaliserais avec stupeur que l’adage du Tao, Les meilleurs coureurs ne laissent pas de traces, n’est pas une vue de l’esprit, mais une consigne d’entraînement.
Et tout cela devait arriver parce que, en janvier 2001, j’avais posé la question suivante à mon médecin :
— Pourquoi mon pied me fait-il mal ?
J’étais allé voir l’un des plus éminents médecins du sport parce qu’un pic à glace invisible me traversait le pied. Durant la semaine précédente, je faisais un jogging tranquille de cinq kilomètres sur une route de campagne enneigée, quand je me mis à hurler de douleur puis à jurer en attrapant mon pied droit avant de m’écrouler dans la neige. Quand j’eus retrouvé mes esprits, je cherchai à voir la gravité de l’hémorragie. J’avais dû m’empaler le pied sur un caillou pointu ou sur un vieux clou pris dans la glace. Or, il n’y avait pas une goutte de sang, pas même de trou dans ma chaussure.
— Votre problème, c’est la course, trancha le Dr Joe Torg, quand j’entrai en claudiquant dans la salle d’examen de son cabinet de Philadelphie, quelques jours plus tard. Il avait forcément raison. Le Dr Torg était non seulement l’un des fondateurs de la médecine sportive, mais il avait coécrit The Running Athlete, l’analyse radiographique ultime de toutes les blessures imaginables.
Il m’inspecta aux rayons X et observa ma foulée, puis il conclut que le problème venait de mon cuboïde, un os parallèle à la voûte plantaire dont j’ignorais l’existence avant qu’il ne devienne un instrument de torture.
— Mais je ne cours presque pas, rétorquai-je. Je fais à peine quatre ou cinq kilomètres par jour et même pas sur de l’asphalte, plutôt sur des chemins de terre. Peu importe.
— Le corps humain n’est pas fait pour ce genre d’agression.
Le vôtre encore moins, souligna le Dr Torg. Je voyais exactement ce qu’il voulait dire. Avec mon mètre quatre-vingt-quinze et mes 104 kg, j’entendais souvent dire que je serais mieux sous les paniers de basket ou à protéger le président qu’à battre le pavé. Arrivé à la quarantaine, j’ai commencé à comprendre pourquoi. Cinq ans après avoir arrêté le basket pour devenir marathonien, je m’étais claqué le mollet (deux fois), blessé au tendon d’Achille (beaucoup), foulé les chevilles (les deux, alternativement) et j’avais souffert (régulièrement) de la voûte plantaire au point de devoir descendre les escaliers à reculons pour la soulager. Maintenant, l’unique zone encore indemne de mon pied avait rejoint les rangs de l’insurrection.
Le plus étrange, c’est que tout le reste semblait indestructible. En tant que reporter pour le magazine Men’s Health et membre des « agités » qui formaient la rédaction originelle d’Esquire, l’essentiel de mon boulot était d’expérimenter des sports extrêmes. J’avais descendu des rapides de quatrième catégorie à bodyboard, surfé sur des dunes de sables géantes à snowboard et sillonné les Badlands du Dakota du Nord à vtt. J’avais en outre couvert trois guerres pour l’Associated Press et passé des mois dans les régions les plus inhospitalières d’Afrique, tout ça sans la moindre égratignure.
Mais, quelques foulées dans le quartier, et je me roulais par terre comme si on m’avait tiré dessus. Dans une autre discipline, j’aurais été déclaré inapte avec toutes ces blessures. Pour la course à pied, j’étais un cas normal.
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