Le vieux soldat
Jean-Michel traîne sa flamme rose à l’arrière du peloton du dernier marathon de Paris. Il encourage, il vocifère, il essaie de regrouper au mieux des coureurs en mal d’arrivée depuis près de cinq heures déjà. Alternance de trot et de marche… les minutes s’égrainent lentement, trop lentement, et chaque kilomètre paraît de plus en plus long.
Mais à la sortie du bois (de Boulogne), le loup n’a mangé personne et le groupe franchit la flamme rouge du dernier kilomètre. La sono d’abord lointaine devient de plus en plus claire. Le speaker depuis le podium d’arrivée scrute le bas de l’avenue Foch, guette l’arrivée de ce groupe et hurle : « Voici la flamme rose, les “5 heures” arrivent, emmenés par Jean-Michel Besnaaaaard ! »
» Merci, merci et encore merci, Jean-Michel ! «
Les aventuriers marathoniens et leur body-guard oublient d’un coup leur souffrance, le rythme s’accélère, la ligne d’arrivée est là, enfin franchie. Ils l’ont fait… Le temps s’arrête, les larmes, les étreintes… « Merci, merci et encore merci, Jean-Michel ! » Instant éternel. Lui, le vieux renard du macadam, le plus ancien des meneurs d’allure, avec ses dix années passées de course au service des autres, est aussi ému que ses élèves du jour. Sa mission est accomplie et le défi de chacun est réussi. À plusieurs, c’était tellement plus facile ! Lui qui au siècle dernier abattait la distance en deux fois moins de temps préfère aujourd’hui, à plus de 60 balais, vivre les émotions de l’arrière de la course. Il en redemande même ! Être une star en queue du peloton n’est pas donné à tout le monde. Il faut dire qu’il a bourlingué avec son ballon d’abord puis cette belle flamme dans le dos. Toutes les couleurs y sont passées et dans toutes les directions, de Morlaix à Strasbourg, de Nice au Mont-Saint-Michel. Une gouaille à la Guy Roux, roulant les R ; il aurait pu faire partie de la troupe des Deschiens…
J’ai l’air de me moquer, mais mon amitié pour Jean-Michel, jeune retraité de Renault, est sincère. Il représente pour moi un personnage authentique, d’un genre en voie de disparition. Le vrai bénévole qui donne beaucoup et ne réclame jamais rien. Au service des autres, comme ce froid matin d’hiver où, bien et chaudement installé dans ma voiture, je l’aperçois, un pot de peinture dans une main, une roue de géomètre dans l’autre, en train de mesurer et tagger des marques de 120, 130, 140 mètres le long d’un trottoir. « Mais que fais-tu ? Je trace des marques pour la séance de 30-30 (secondes) de mes coureurs, pour indiquer la distance qu’ils devront accomplir. » Jean-Michel est aussi responsable du groupe 6 au club. Le groupe le moins rapide, celui des débutants et surtout des débutantes, qui sont les plus nombreuses. « Mireille fera 120 mètres en 30 secondes et Bertrand des 140 mètres. » Même invisible, la flamme est en lui.
Bien sûr, et pendant des années, la famille a dû souper de la course à pied, à tel point que Mireille, l’épouse, a fini par craquer. Elle s’est mise au jogging depuis deux ans, se découvrant sur le tard un cœur de sportive. Quelques dossards plus tard, la voilà qui truste les podiums V3 de la région… Et, entre les courses, elle confectionne des harnais confortables pour les meneurs d’allure. Contagion…
Rubrique « Entre nous », par Dominique Chauvelier
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