Courir à deux
La course à pied est une pratique individuelle et par conséquent rien ni personne ne peut nous venir en aide dans les derniers kilomètres difficiles d’une course, a fortiori d’un marathon. Ainsi lorsque vous vous sentez en légère perdition et désespérément seul à lutter contre le macadam, le chrono devient parfois accessoire et quelques minutes supplémentaires peuvent bien s’y rajouter. Idem pour les potes : devant, derrière ? Vous n’y pensez même plus et les autres participants peuvent bien vous doubler, vous en avez plus rien à faire. D’ailleurs la plupart ne sont pas en meilleur état ! Se raccrocher à son dernier gel énergétique ? Quelquefois, même le geste de le sortir de sa poche et d’en déchirer l’emballage devient coûteux en énergie…
Plus envie non plus de répondre aux encouragements…
Attendre et atteindre cette ligne d’arrivée, lever les yeux pour lire l’horloge et les bras pour la délivrance. Le vieil adage de la solitude du coureur de fond prend ainsi tout son sens. Ces états âmes je les ai connus à plusieurs occasions car dès la moindre erreur tactique et quel que soit le niveau, la sentence est la même pour tous. Aujourd’hui je veux bien souffrir mais modérément, mon record marathon fête son vingtième anniversaire (Milan 1989) alors maintenant la distance se fait « en dedans » pour apprécier, voir, écouter, aider…
Mon dernier marathon de Paris a été consacré à ma dulcinée, Laurence. Son challenge était de parcourir la distance en 2h37’ pour se qualifier pour les prochains mondiaux à Berlin l’été prochain. Alors pour lui permettre de réaliser ce rêve je me suis proposé d’être son lièvre, son tuteur… A deux cela lui semblera plus facile ! Au départ la tension était grande pour elle car cela représente un objectif de haut niveau, qui plus est à l’aube de la quarantaine, mais également pour moi-même car la marge qui nous sépare se réduit d’année en année. Je dois courir pour elle, à travers elle et ne dois pas la déstabiliser par le moindre signe d’anxiété. Je m’occupe du « pique-nique » (boisson et gels) et prends ainsi la conduite de la conduite de notre course. Madame est confortablement installée à l’arrière, bien à l’abri avec l’interdiction de mettre le nez à la fenêtre. Une forme de co-voiturage dont profiteront quelques autres coureurs, profitant ainsi d ce train parfaitement régulé. Le l’imitateur de vitesse est enclenché et je fais office de chronométreur tous les 5 kilomètres, 18’30’’, 18’29’’,18’35’’.
Le tempo est bon, je n’entends aucun souffle derrière moi, elle est mon ombre. Nous sommes un véritable rouleau compresseur pour les téméraires des premiers kilomètres que nous rattrapons, doublons et lâchons irrémédiablement… qui m’aime me suive, elle me suivra j’en suis sûr. Beaucoup descendront « du bus » au fil de la course, je regarde peu dans le rétroviseur pour ne pas inquiéter ma passagère, aucun doute n’est permis car elle doit… Pardon, nous devons réussir. « Quand est ce qu’on arrive ? ». Un voyant s’allume au 35ème kilomètre, Laurence est sur la réserve, je lève le pied, 40 secondes de perdues, je ne dis rien. Elle souffre, il faut tenir… Je ressens sa souffrance et lui offre toutes mes forces. Porte Dauphine, dernier virage, c’est long, c’est dur, c’est beau à la fois. La ligne, l’horloge : 2h37’36’’. Record perso battu de 4 minutes. Les bras se lèvent. On s’embrasse. Notre objectif est atteint.
Courir pour quelqu’un, courir pour les autres, Je remets ça dans quelques semaines…
Meneur d’allure en trois heures à Sénart. Un autre sens pour mes courses, un autre plaisir.
Rubrique « Entre nous », par Dominique Chauvelier
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