Course à pied : savez-vous bien gérer votre affûtage ?
Arriver au top de sa forme le jour J est l’objectif de tout compétiteur. Pour qu’une course corresponde à un pic de forme, un faisceau de paramètres doit converger. Parmi ces facteurs de performance figure en bonne place l’affûtage. Alors, prêt à vous aiguiser comme une lame ?
« T’es affûté, dis donc ! » En général, quand on vous lance ce genre de remarque, vous vous sentez fier comme un coq : un coureur se doit d’être taillé à la serpe, le muscle saillant et le mollet aiguisé. S’affûter, c’est perdre de la masse grasse sans perdre en musculature, ce qui contribue généralement à la performance en course à pied. Cependant, l’affûtage désigne une autre réalité que celle de guiboles sillonnées de veines bien apparentes : il correspond à la phase précompétitive destinée à « réduire la fatigue accumulée tout en maintenant une condition physique optimale », pour reprendre la définition de Blaise Dubois[1]. Il s’agit ici de détailler ce qu’est précisément cette période d’affûtage précompétitive… qui n’a rien à voir avec la quête d’une silhouette sèche comme Jim Walmsley !
Quand planifier l’affûtage ?
Contrairement à une idée largement répandue, l’affûtage ne se résume pas à la semaine qui précède une compétition. Il s’étire sur une période plus longue, qui dure de 10 jours à 4 semaines selon les individus. Le chercheur Iñigo Mujika[2], docteur en biologie de l’exercice ainsi qu’en sciences du sport et de l’activité physique et dont les travaux sur l’affûtage font autorité, affirme que « la phase d’affûtage devrait idéalement être personnalisée en fonction de chaque coureur et de sa capacité à surcompenser et à récupérer de la fatigue accumulée. Pour certains athlètes, une récupération optimale nécessite une longue phase d’affûtage alors que d’autres retrouvent rapidement leur énergie. » Généralement, deux semaines sont suffisantes, mais chacun doit ajuster la durée en procédant à des essais et en observant comment son corps réagit.
Pourquoi respecter une phase d’affûtage ?
Un entraînement régulier, qui plus est lorsqu’il est intense, engendre de la fatigue. Or, pour exprimer pleinement son potentiel physique le jour d’une épreuve, le coureur doit se présenter sur la ligne de départ en ayant évacué toute fatigue sous-jacente. L’affûtage vise donc à permettre à l’organisme de récupérer de longues semaines de préparation sans pour autant en perdre les bénéfices : il s’agit de se reposer sans basculer dans l’inactivité totale et le désentraînement. Pour Iñigo Mujika, « une phase d’affûtage bien réussie peut avoir des conséquences bénéfiques sur la performance, et ce à plusieurs niveaux. Elle permet d’augmenter la production d’énergie aérobie et anaérobie, la concentration de glycogène intramusculaire, le nombre de globules rouges, le taux d’hormones anaboliques et la puissance musculaire. »
Par ailleurs, l’affûtage n’est pas sans effet sur le plan mental, comme l’indique encore Iñigo Mujika : « Les études constatent notamment une augmentation subjective du bien-être et de la vigueur, ainsi qu’une diminution des troubles de l’humeur et du sentiment de fatigue causé par la charge d’entraînement des phases précédentes. » De plus, l’allègement du volume d’entraînement crée un certain manque chez l’athlète régulier : en réduisant le nombre de séances hebdomadaire, on génère une privation, voire une frustration, qui renforce la motivation et l’envie le jour de la course. Or, chacun sait que l’envie est l’un des moteurs principaux de la réussite, surtout dans une discipline d’endurance telle que le running.
Comment planifier l’affûtage ?
L’équilibre est délicat à trouver : comment entretenir les qualités acquises pendant les cycles d’entraînement antérieurs tout en récupérant suffisamment pour se présenter en pleine forme sur la ligne de départ ? Les travaux scientifiques révèlent que la meilleure solution consiste à maintenir des séances à haute intensité tout en réduisant le volume et la fréquence d’entraînement. Or beaucoup de coureurs font l’inverse : ils suppriment les séances intenses et privilégient les footings à allure faible avant une échéance importante, pensant « faire du jus », comme le disent les initiés. Contre toute attente, c’est exactement l’inverse qu’il faut faire !
Rappelons que le but de la période d’affûtage est de continuer à entretenir les qualités travaillées au cours des cycles précédents tout en maximisant la récupération. Le dosage s’avère difficile car l’intensité ne doit pas générer de stress physiologique et de fatigue délétères pour la compétition à venir. En tout cas, l’affûtage « n’est en aucun cas le moment pour acquérir des capacités non acquises au préalable » et « ne doit pas être confondu avec une phase de surcompensation », affirme Alain Roche[3], coach sportif, avant d’ajouter : « Réduire l’intensité du travail spécifique conduirait à une diminution des performances de l’organisme, notamment celles qui sont liées au transport de l’oxygène. » En effet, en réduisant drastiquement l’intensité, l’organisme perd une partie de ses capacités métaboliques, musculaires, cardiaques et respiratoires acquises au cours des cycles d’entraînements précédents. D’un point de vue métabolique, Alain Roche précise que « les séances à haute intensité sont fortement mobilisatrices de la filière glucidique, donc se couper de ces séances, c’est voir chuter son niveau de captation totale du glucose en raison d’une nette diminution de la sensibilité insulinique. » Des muscles habitués à être sollicités de manière intense concentrent le glycogène. Abaisser brutalement l’intensité des exercices auxquels ils sont soumis réduit cette concentration, ce qui est défavorable à la performance. Au contraire, un affûtage bien conçu permet d’accroître la force et la puissance musculaires, de réparer les dommages tissulaires liés aux cycles d’entraînement précédents et de recharger les stocks de glycogène musculaire et hépatique[4].
Le bon dosage
Mais qu’est-ce qu’un affûtage bien conçu ? Pour Iñigo Mujika, l’ajustement du volume et de la charge d’entraînement ne doit pas être brutal, mais progressif. C’est notamment pour cette raison que la phase d’affûtage s’étend sur une période aussi « longue » (de 10 jours à 4 semaines). Le chercheur préconise de réduire de 20 % maximum la fréquence d’entraînement hebdomadaire et de baisser le volume de 41 à 60 % par rapport aux précédentes phases d’entraînement. « Diminuer progressivement le volume d’entraînement tout au long de la phase d’affûtage est généralement plus efficace qu’une réduction soudaine et standardisée », affirme-t-il. Il convient aussi d’adapter la nutrition, l’hydratation et les méthodes de récupération (notamment le sommeil) afin d’optimiser les bénéfices de cette période précompétitive. Pour Alain Roche, il est essentiel de réduire la quantité d’aliments acides (viandes, poissons, fromages…) et d’augmenter les apports en antioxydants (fruits rouges, pruneau, prune, haricots rouges, spiruline…). Globalement, les végétaux (légumes et fruits, frais ou secs) doivent être privilégiés et les produits animaux limités à leur strict minimum.
En pratique, comme
chaque athlète réagit de manière spécifique, il est impossible de proposer un
programme d’affûtage générique. Toutefois un exemple peut permettre de mieux
comprendre comment planifier de manière personnalisée son propre affûtage. Prenons l’exemple d’un coureur
s’entraînant habituellement cinq fois par semaine pour une durée totale de sept
heures. Après quelques tests, il a défini son affûtage idéal à une durée de deux
semaines et demie. Il réduit donc son entraînement à quatre séances
hebdomadaires, soit quatre à cinq heures d’activité, de J-17 à J-10. Puis il
passe à trois entraînements par semaine, soit trois heures d’exercice, de J-9
jusqu’à la veille de la compétition où il réalisera une très classique session de
déblocage (environ 40 minutes incluant quelques fractions rapides).
[1] La clinique du coureur : la santé par la course à pied. Blaise Dubois, Frédéric Berg. Editions Mons, 2019.
[2] Cité par La clinique du coureur : la santé par la course à pied. Blaise Dubois, Frédéric Berg. Editions Mons, 2019.
[3] http://www.diet-sport-coach.com/pages/content/info-entrainement/la-zone-d-affutage-avant-une-competition.html
[4] Les bases de la physiologie du sport : 64 concepts clés. Achilles Klissouras, Odysseus Klissouras, Klissouras Vassilis, Peter Jenoure. Elsevier Masson, 2017.
Commentaires
Laisser un commentaire