Témoignage. Trail du Haut-Giffre : récit d’une nuit dramatique
Un mort, deux blessés graves et des dizaines de coureurs meurtris et en état de choc. Voici le terrible bilan de l’ultra-trail du Haut-Giffre lancé depuis la commune des Samoëns en Haute-Savoie le vendredi 14 juin. Un concurrent présent sur la course témoigne : « c’était le chaos ».
La 11ème édition de l’Ultra-Trail du Haut-Giffre qui se disputait dans ce massif calcaire et très technique a viré au drame dans la nuit du vendredi 14 et du samedi 15 juin quand un concurrent de 52 ans a perdu la vie après avoir chuté dans une descente. Deux autres trailers ont également été grièvement blessés. Et beaucoup d’autres encore ont souffert d’hypothermie et de blessures légères.
Le drame s’est déroulé en plein milieu de la nuit, entre 3h et 4h du matin, dans les premiers mètres de la descente qui suivait le passage sur la Pointe d’Angolon, à environ 2000 mètres d’altitude, après une quinzaine de kilomètres de course. Le concurrent, qui participait à l’épreuve de 95km, est décédé après avoir chuté de plusieurs mètres. Deux autres ont été grièvement blessés à ce même endroit. Le passage, d’ordinaire particulièrement pentu et technique, a été rendu impraticable en raison des conditions météo. De fortes pluies se sont abattus durant la course.
Ultra-Trail du Haut-Giffre : « On nous avait prévenus que ça allait être compliqué »
Pierre Meignan, 33 ans, traileur averti, finisher notamment de la Diagonale des Fous, de l’Échappée Belle, de l’UTMB ou encore du Tor des Géants faisait parti des concurrents au départ de l’épreuve reine de 130 km et 9000mD+ de l’Ultra-Trail du Haut-Giffre, qui s’élançait depuis le centre-ville de Samoëns à 19h. « On nous avait prévenus 48h avant la course que les conditions allaient être compliquées, notamment dans la nuit de vendredi à samedi. On nous avait annoncé un gros orage et plusieurs dizaines de kilomètres de parcours sur la neige, rappelle-t-il d’emblée. Puis au briefing, sur la ligne de départ, les organisateurs nous l’ont redit, nous annonçant 40ml de pluie, du froid. Ils ont été honnêtes avec les coureurs, mais je pense qu’ils ont sous-estimés l’état des sentiers. »
Malgré les avertissements, le départ des courses a bien été donné. A 19h pour l’épreuve de 130km et peu avant minuit pour celle de 95km. « Je suis passé à l’endroit où le drame a eu lieu vers 21h30. Il devait y avoir une quarantaine de concurrents déjà passés. S’il ne pleuvait pas encore à ce moment, le terrain était déjà très gras et glissant. Il y avait deux bénévoles au sommet qui nous ont alerté sur le fait que la descente était était dangereuse. Sur les premiers mètres, il y avait une corde fixe, mais après plus rien, et c’était une vraie patinoire. Dans ce passage, la pente était très raide. Sur ma gauche, c’était le vide. J’ai chuté et j’ai glissé sur une vingtaine de mètres, je n’ai pu m’arrêter qu’en m’accrochant à la branche d’un arbuste. J’ai eu très peur, je n’avais jamais vu ça sur un ultra », poursuit le trailer. « J’avais bien mes crampons dans mon sac, mais je ne les ai pas mis. C’était une erreur », concède-t-il.
« Du matériel cassé, des coureurs recouverts de boue, des dossards déchirés »
Pierre, engagé sur le 130km, a poursuivit sa route, malgré ses doutes. Il assiste alors à des scènes comme il n’en avait jamais vu encore malgré son expérience en ultra. « Je voyais à chaque ravitaillement du matériel cassé, des coureurs recouverts de boue, des dossards déchirés. J’ai hésité à continuer, mais je faisais confiance à l’organisation. Si ils nous ont dit qu’on pouvait continuer, c’est qu’ils savaient ce qu’ils faisaient.» Après une bonne pause sur la première zone de ravitaillement, Pierre décide de continuer à l’assaut du col de Bostan. S’en est suivi une longue descente avec une partie en forêt. « C’était très glissant, j’ai chuté de nouveau cinq ou six fois avant d’arriver à la première base de vie. D’ici, très peu de coureurs repartaient. Les bénévoles nous prévenaient que si on voulait s’arrêter, c’était ici. Il ne nous ont jamais inciter à continuer. Mais quand tu dis ça à un mec qui a déjà fait plusieurs ultras, on ne prend pas réellement conscience du danger», regrette-t-il après coup.
Il s’aventure alors pour une longue portion de 1000 mètres de dénivelé positif jusqu’à la Combe aux Puaires, perchée à 2300 mètres d’altitude. « Je me suis arrêté à mi-route, dans le refuge de la Folly. Je voyais plein de mecs redescendre. On me disait que là haut c’était cataclysmique. Plein de coureurs faisaient des hypothermies. Il était alors environ 6h du matin. Et dans le refuge, on voyait que c’était la panique. C’est ici qu’on a dit d’arrêter ».
Le temps de redescendre, Pierre prend conscience du drame. « Il y avait des voiture de pompiers partout ! J’ai l’impression que l’organisation a été dépassée par la violence des conditions météo. C’était le chaos ».
C’est au petit matin, vers 7h, que les organisateurs ont pris la décision d’arrêter les deux courses en cours, le trail de 130km et celui de 95km. Les autres courses dont le départ était prévu le samedi matin on ensuite été annulées. « J’ai le sentiment que l’organisation a été dépassée par les évènements. C’est toujours facile de dire, a posteriori, qu’il fallait annuler ou décaler l’épreuve. Tout le monde, coureurs et organisateurs, étaient au courant que c’était chaud. Mais pas à ce point. »
De cette expérience dramatique, Pierre l’assure : « je ferais dorénavant beaucoup plus attention à la météo avant de partir. et je serai beaucoup plus vigilant sur mon matériel. On a toujours tendance à vouloir alléger notre sac, mais c’est une erreur ».