Courses

Premiers extraits de « Born to run » en exclusivité [5/5]

Par La Rédaction , le 2 novembre 2016 - 5 minutes de lecture

Bible du minimalisme aux USA, oeuvre fondamentale pour toute une génération de coureurs, Born to Run, le livre culte de Christopher McDougall est enfin traduit en français après plus de trois ans d’attente. Récits d’aventures et de courses, portraits haut en couleur, anthropologie et science se télescopent dans ce docu-roman captivant. La trame : un journaliste américain, runner à ses heures, se lance sur la piste d’une tribu indienne de super athlètes insaisissable, les Tarahumaras.

« […]

En 1971, un médecin américain qui s’était aventuré dans les
Copper Canyons fut si impressionné par les qualités athlétiques
des Tarahumaras qu’il dut remonter 2 800 ans dans le temps pour
trouver quelque chose d’équivalent. « Depuis les Spartiates, aucun
peuple n’a probablement atteint ce degré de forme physique »,
écrit le Dr Dale Groom, dans l’article de l’American Heart Journal
qui résume les conclusions de ses recherches. Mais, à la différence
des Spartiates, les Tarahumaras sont doux comme des agneaux. Ils
n’utilisent pas leur force extraordinaire pour mettre des raclées,
mais pour vivre en paix. « Il s’agit d’une culture pleine de mystères
», résume le Dr Daniel Noveck, anthropologue de l’université
de Chicago et spécialiste de la tribu.

Les Tarahumaras sont si mystérieux que même leur nom n’est
pas le bon. Le véritable est Rarámuri, qui signifie « peuple qui
court ». Ils ont été surnommés Tarahumaras par les conquistadors,
qui ne comprenaient pas leur dialecte. Ce nom impropre leur est
resté parce que, fidèles à eux-mêmes, les Rarámuri ont préféré
s’enfuir plutôt que protester. C’est en prenant leurs jambes à leur
cou qu’ils ont toujours répondu à l’agression. À la bruyante arrivée
des hommes en armures de Cortès comme lors de l’invasion des
cavaliers de Pancho Villa puis des barons de la drogue mexicains,
les Tarahumaras ont riposté en détalant si vite que personne ne
pouvait les suivre et en se repliant toujours plus loin au fond des
Barrancas. Ils doivent être incroyablement disciplinés, totalement
focalisés, déterminés… de véritables moines Shaolin de la course
à pied », me dis-je.


Eh bien, ce n’est pas tout à fait le cas. Les Tarahumaras ont
plutôt une approche festive de la course de fond. En ce qui concerne
la diététique, l’hygiène de vie et la chasse au surpoids, les entraîneurs
s’arracheraient les cheveux. Ils boivent comme si la Saint-
Sylvestre avait lieu chaque semaine et s’envoient de telles quantités
de bière de maïs qu’ils passent un jour sur trois à s’en remettre.

À la différence de Lance [Armstrong, NDLR], ils ne refont pas le plein de
sels minéraux avec des boissons d’effort. Ils ne réparent pas les
dommages musculaires de l’exercice avec des barres hyperprotéinées.
En fait, ils ne mangent pratiquement pas de protéines et ne
se nourrissent pour ainsi dire que de maïs parfois agrémenté de
souris grillée, leur friandise favorite. À l’approche d’une course,
les Tarahumaras ne s’entraînent pas et ignorent l’affûtage. Le jour
même, ils ne s’échauffent pas et ne s’étirent pas non plus. Ils se
pointent simplement sur la ligne en rigolant… et partent comme
des dératés pour 48 heures.

Comment font-ils pour tenir le coup ? C’est un peu comme
si une erreur d’écriture avait entraîné une inversion des données.
Ne serait-ce pas nous, utilisateurs de chaussures spécifiques et
d’orthèses sur mesures, qui devrions être épargnés par les blessures
alors que les Tarahumaras, qui courent beaucoup plus, sur des
terrains beaucoup plus accidentés et avec des chaussures qui n’en
méritent même pas le nom, devraient être constamment amochés ?
Leurs jambes sont tout simplement plus fortes, parce qu’ils
courent toute leur vie, pensais-je. Mais ça ne tenait pas la route.

Si courir est mauvais pour les jambes, courir beaucoup doit être pire
encore, ce qui signifie qu’ils devraient être blessés plus souvent.
À la fois intrigué et perplexe, je laissais tomber l’article. Tout
ce qui concerne les Tarahumaras semblait contradictoire, incohérent
et aussi obscur que les énigmes d’un moine zen.

Les types les plus rudes étaient les plus sympas, les jambes les plus sollicitées
étaient les plus alertes, les gens les plus en forme avaient le régime
alimentaire le plus fou, les illettrés étaient les plus sages, ceux qui
travaillaient le plus étaient les plus heureux…
Et la course à pied dans tout ça ? Était-ce une coïncidence que
le peuple le plus éclairé donne aussi les plus formidables coureurs ?
Les pèlerins en quête de sagesse se lancent à l’assaut de l’Himalaya
et moi, réalisai-je enfin, je n’avais qu’à passer la frontière texane.
Trouver où exactement de l’autre côté de la frontière n’allait
pas être simple. »

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