Premiers extraits de « Born to run » en exclusivité [2/5]
Bible du minimalisme aux USA, oeuvre fondamentale pour toute une génération de coureurs, Born to Run, le livre culte de Christopher McDougall est enfin traduit en français après plus de trois ans d’attente. Récits d’aventures et de courses, portraits haut en couleur, anthropologie et science se télescopent dans ce docu-roman captivant. La trame : un journaliste américain, runner à ses heures, se lance sur la piste d’une tribu indienne de super athlètes insaisissable, les Tarahumaras.
« Ceux qui ne se blessent pas sont des exceptions. Près de 80 % des
coureurs le vivent chaque année. Que vous soyez lourd ou léger,
lent ou rapide, crack ou « poireau », vous serez confronté au même
risque de vous déglinguer genou, mollet, tendons, hanche ou
talon. À la prochaine Corrida de la Toussaint, regardez le coureur
à votre droite et celui de gauche. Statistiquement, un seul d’entre
vous sera de retour sur la ligne de départ pour le Semi de Noël.
Aucune invention n’a encore enrayé le carnage. On vend
aujourd’hui des chaussures à ressorts et des Adidas dont l’amorti
est contrôlé par microprocesseur, mais le taux de blessures n’a pas
bougé d’un iota depuis trente ans. Il aurait même plutôt augmenté.
Les pathologies du tendon d’Achille ont ainsi progressé de 10 %.
La course à pied est un peu aux activités physiques ce que
l’état d’ébriété est à la conduite : on peut s’en sortir un moment,
mais la catastrophe n’est jamais loin.
« Tu parles d’une surprise ! » ironise le monde de la médecine.
Plus précisément, voilà ce qu’il en dit dans le Sports Injury
Bulletin : « Les athlètes dont la pratique implique la course infligent
d’énormes contraintes à leurs membres inférieurs. Chaque appui
se répercute dans la jambe avec une force équivalente au double
du poids. Tout comme des coups de masse répétés sur de la pierre
apparemment incassable finissent par la réduire en miettes, les
impacts associés à la course à pied endommagent os, cartilages,
muscles, tendons et ligaments. » La course de fond, renchérit
l’Association américaine des chirurgiens orthopédistes, représente « une
immense menace pour l’intégrité du genou ».
Et ce n’est pas sur de la pierre incassable que les coups pleuvent,
mais sur l’une des parties les plus sensibles de notre anatomie.
Savez-vous quel genre de nerfs parcourt vos pieds ? Les mêmes
que dans votre appareil génital. Ils grouillent de neurones avides
de sensations. Stimulez ces capteurs un tant soit peu et les influx
fusent dans tout votre système nerveux. Voilà pourquoi chatouiller
vos pieds peut faire sauter le standard et secouer tout votre corps
de spasmes.
Pas étonnant que les dictateurs sud-américains aient été des
fétichistes du pied quand il s’agissait de venir à bout des durs
à cuire. Imaginé sous l’inquisition, le bastinado, qui consiste à
retourner le supplicié pour lui frapper la plante des pieds, a fait
le bonheur des pires sadiques de la planète. Parmi ses adeptes
figurent notamment les Khmers rouges et Oudaï Hussein, fils de
Saddam, qui étaient de fins connaisseurs de l’anatomie. Seuls le
visage et les mains peuvent égaler les pieds quand il s’agit d’adresser
des messages instantanés au cerveau. Ils sont aussi bien équipés
que vos mains et vos lèvres pour déceler la caresse imperceptible
du plus petit grain de sable.
— Alors, qu’est-ce qui me reste à faire ? demandai-je au
Dr Torg.
— Vous pouvez continuer à courir, mais vous y aurez encore
droit, répondit-il en donnant une pichenette à la seringue de cortisone
qu’il s’apprêtait à me planter dans le pied. J’avais également
besoin de semelles orthopédiques (400 dollars) à glisser dans mes
chaussures avec contrôle de pronation (150 dollars à multiplier
par deux pour alterner), mais ça ne ferait que retarder la plus
grosse facture, celle de mon inévitable retour dans son cabinet. »
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