Phénomène de masse
Je dois bien admettre que mon sport a énormément évolué ces dernières années. L’engouement populaire constaté lors du récent Cross Ouest-France, chez moi, au Mans, a donné une nouvelle preuve de cette vitalité extraordinaire de la course à pied et aussi de son évolution.
À l’heure où on déplorerait plutôt le désintérêt pour le cross d’une manière générale, l’organisation se met ici en quatre pour offrir un panel d’épreuves pour tous : des tout petits enfants invités à la course des familles jusqu’aux vétérans “hors d’âge”, en passant par toutes les catégories possibles ; les épreuves scolaires, une course populaire de 10 km successivement citadine et champêtre, avant de finir sur la piste de cross pour une sorte de triathlon pédestre ; un maxi-cross ou course nature de 20 km pour les férus de kilométrage, la course-spectacle des As courue à plus de 20 km/h, la course des VIP réservée aux partenaires et élus, avec huîtres et vin blanc à l’arrivée. De tout, vraiment, des petites et des longues distances, des néophytes, des débutants, des amateurs, des professionnels, un village des partenaires, des distributions de cadeaux et gadgets, un mur d’escalade, de la restauration sur place…
De la fête, de la convivialité, une belle ambiance familiale tout un week-end !
Est-ce que j’imaginais cela, cette évolution, il y a quelques années ? Non, je l’avoue. Je suis issu d’une génération qui ne courait que pour s’entraîner, améliorer ses capacités, chercher la perf pour se positionner dans une hiérarchie Élite et, dans la mesure du possible, en tirer quelque avantage matériel. Cette époque où regarder courir, dialoguer avec un champion était un privilège. Je faisais de la course à pied pendant que d’autres faisaient du footing dans les bois, pour passer le temps ou pour leur santé. J’ai fait partie de cette Élite qui souriait de ces premiers joggeurs, à une époque où le mot jogging n’était pas encore en vogue. Ce temps où courir un marathon était affaire de spécialistes et ne s’envisageait guère en plus de trois heures (sous peine de se faire mal voir par le chauffeur de la voiture-balai). J’exagère à peine.
Aujourd’hui, quelques décennies après, donc… je constate que mon voisin “fait le métier” pour préparer le marathon de Paris en moins de 4 h 30. Notre moquerie bien amicale aura été de courte durée. Courir est devenu une mode, qui ne se démodera plus. Aujourd’hui, il n’y a plus rien de péjoratif dans le mot joggeur. C’est un coureur à part entière, nul ne le conteste et surtout pas moi. Il faut être lucide, si la course à pied se porte si bien, si on en parle autant, c’est grâce à la masse de ces pratiquants et non à une élite en voie de disparition. Ces centaines, ces milliers de coureurs qui s’inscrivent à des compétitions dans un cadre de loisirs et par défi personnel, ces nouveaux combattants du bitume et du sentier, ont créé un nouvel état d’esprit, une convivialité que tout le monde recherche à présent.
Les organisations “tendance”, qui réussissent, sont celles qui savent s’adapter à cette demande d’accessibilité, de convivialité : une course de Pères Noël à Issy, une “féminine” dans le Limousin, un Médoc annuel qui continue de faire des petites déguisées un peu partout, des petits formats sur les grandes épreuves ou un bain de boue à la Transbaie. Quelques minutes perdues sur un parcours ne sont plus des minutes perdues qui engendrent la déprime, mais du temps gagné à profiter.
À s’amuser. La course, une fête où il faut être, quelquefois juste pour terminer, tout simplement.
Rubrique « Entre nous », par Dominique Chauvelier
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