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« J’ai couru la diagonale des fous »

Par La Rédaction , le 2 novembre 2016 - 5 minutes de lecture

Dominique Vincent a 54 ans et il est directeur de banque. Rien de choquant. Dominique Vincent habite à La Réunion, ce qui est déjà plus rare. Et Dominique Vincent a quelques références à faire valoir en course à pied : 2 h 55 sur marathon, 9 h 20 sur 100 km, 185 km sur 24h, 580 km sur 6 jours. Mais surtout le 22 octobre 2010 Dominique Vincent a couru l’une des courses les plus difficiles au monde : la diagonale des fous. Témoignage d’un homme qui ne se bat pas contre l’envahisseur, mais contre lui-même.

« Sur la ligne de départ à St Philippe pour ma 2e participation au Grand Raid, je suis prêt à affronter les 163 kms et 9600 mètres de dénivelé positif.

L’épreuve est l’une des courses de montagne les plus dures au monde, mais les difficultés ont encore été augmentées cette année. La traversée de l’ile s’effectue toujours du Sud au Nord, avec une arrivée mythique au stade de la Redoute de St Denis. La course cumule les difficultés avec sa distance et un dénivelé cumulé supérieur à 19 000 mètres. Elle a été rallongée de 13 km, mon temps de 42 heures réalisé en 2009 ne me servira donc pas de référence. La principale caractéristique de cette course d’ultra-trail est la nature de son terrain. La Réunion est réputée pour ses sentiers très techniques, jonchés de racines d’arbres, de pierres et de rochers. La vigilance doit être totale en descente, car les pentes sont très raides, ceci explique peut-être mes chutes dans la dernière descente du Colorado à quelques encablures de l’arrivée je vais traverser les 3 cirques de La Réunion : le cirque de Cilaos avec la montée au Volcan à 2 300 m, le cirque de Salazie avec l’accès au Piton des Neiges par Cap Anglais à 2 500 m et enfin le cirque de Mafate avec le col du Taîbit à 2 100 m.

Le départ est avancé à 22h et le temps limite allongé à 64 h, mais ce ne sera pas suffisant pour éviter la mise hors course de plusieurs centaines de coureurs arrivés hors délai aux pointages intermédiaires, avec 45% d’abandons ou mises hors course, un autre record sera battu.

Une vue panoramique fantastique

Le départ est donné aux 2550 coureurs, quelques kilomètres de bitume pour s’échauffer et très vite c’est la montée vers le volcan, parti volontairement dans les tous derniers, je double de nombreux coureurs qui commencent à marcher au fur et à mesure que la pente s’élève. Le sentier se rétrécit rogressivement pour aboutir à un étroit passage, jusqu’à nous contraindre à la file indienne. Plusieurs passages scabreux, entre 1500 et 2000m d’altitude, nécessitent des talents d’acrobate. Enfin le sommet à 2300m, Point Volcan, est atteint après 30 kms et 7h40 de course. La récompense est là : une vue panoramique fantastique sur le volcan de la Fournaise en éruption depuis une semaine. Le rouge flamboyant du cratère et les coulées de lave explosent et resplendissent dans la nuit. Il ne faut pas trop tarder, je repars après un rapide ravitaillement. Place à la traversée de la Plaine des Sables, avec de longues portions roulantes et propices à la course. Le jour se lève sur ce terrain qui mêle sable et pierre. Le paysage devient magique, lunaire, au pied des remparts de Balsate.

J’atteins Mare à Boue, situé au 50e km, après 10h50 de course. Ravitaillement chaud avec le carry local, poulet/riz, coca et café. Mon arrêt ne dure pas plus de 15 minutes. Direction le Cirque de Salazie via Hell Bourg, soit 20 kms de sentiers roulants à travers la forêt de Belouve, avec une succession de côtes et descentes aisément franchies. Tout va bien, je prends toujours autant de plaisir. Hell Bourg est en vue après 71 kms et 16h 10 d’efforts plutôt plaisants.

soleil et panorama sur la diagonale des fous

Arrêt rapide et j’attaque la 2e grosse difficulté du parcours, le Piton des Neiges par Cap Anglais. Un dénivelé de 1 500 m sur une distance de 10 km. La fin de la montée au Piton me parait interminable, sous une chaleur étouffante et après avoir grimpé de nombreuses parois à flanc de montagne. Il me faudra 3h 45 pour venir à bout du géant avant de… redescendre sur Cilaos, une piste scabreuse et technique. Je ne parviens pas à me relâcher, les quadriceps durcissent et la fatigue commence à apparaître après plus de 20h de course.

Enfin, pointage à Cilaos ou je me ravitaille copieusement avec poulet/lentilles, pain, yaourt et une orange. Je récupère mon sac d’assistance et décide de changer de maillot et chaussettes. Mes pieds sont en bon état et je les enduis de crème anti-échauffement. Je dois m’arracher à la douceur de cette cantine et repartir après un arrêt de 50 mn. Ce sera mon plus long arrêt dans la course. Il fait nuit et je vais attaquer le col du Taîbit, 3e grosse difficulté de ce Grand Raid avec une ascension de 1 200 m. Il pleut, le sentier est glissant et de nombreuses marches avec des rondins en bois jalonnent la piste. Avec des hauteurs souvent supérieures à 40-50 cm, ces marches cassent le rythme et usent les muscles des cuisses. J’atteins le sommet situé à 2 100 m pour en redescendre immédiatement, une descente vertigineuse sur Marla. Après 100 kms et le dépassement de nombreux concurrents, je pointe en 620e position. Un arrêt rapide, quelques mini sandwichs pâté/saucisson avalés rapidement avec 3 verres de coca et je repars dans le cirque de Mafate.

La galère est proche

Je ressens très vite une douleur au genou droit qui m’accompagnera jusqu’à l’arrivée. Chaque appui sur la jambe droite tendue me crée une douleur, et je dois me résoudre après quelques kilomètres à réduire la foulée afin de limiter l’impact au sol.

La traversée du cirque de Mafate se fait avec un moral déclinant. Ma seule satisfaction est l’absence de grande fatigue qui me permet de ne pas dormir et de limiter mes temps d’arrêt à leur minimum. Ainsi je compense partiellement le temps perdu en raison de ma blessure. Enfin, je parviens à la localité Deux-Bras (sic) après 36h de course et 125 km parcourus. Nouveau ravitaillement, le soleil tape très fort et je ne sais pas où m’installer car il n’y a pas de zone d’ombre. Comme je suis déjà en sueur, je décide de repartir rapidement.

La montée de Dos d’Ane est le nouvel obstacle à affronter. Je le franchis en 1h30, sous un soleil de plomb et je bois plus de 2 litres d’eau. Heureusement, les encouragements du public sont incessants et me redonnent un peu de moral. Je souffre beaucoup dans cette montée de 700m de dénivelé, mais je me motive en pensant qu’on est tous dans le même bateau, tout le monde souffre, à l’exception peut être de quelques athlètes comme le catalan Killian Jornet, capable de franchir ce sentier raide en courant. La pensée de ce dernier, vainqueur en 23 heures et arrivé depuis plus de 18h, me perturbe car il me reste encore 20 kms à parcourir.

Cette dernière portion de parcours va s’avérer un véritable calvaire. Au départ de la Grande Chaloupe, la nuit tombe. J’aperçois au loin un groupe de spectateurs sur le côté du chemin en pleine discussion. Arrivé à leur niveau, grande est ma surprise de constater que les personnes en question sont des arbustes… Ces hallucinations se répéteront à 3 reprises. Et toujours les mêmes ! Je m’arrête quelques minutes dans l’herbe pour reprendre mes esprits. Je repars et cette fois c’est ma vision qui se trouble. Je suspecte une nappe de brouillard. Mais ce n’est que la fatigue. J’enfile ma veste de peur d’un coup de froid alors que je suis en pleine transpiration en raison de la chaleur…

Un chemin de croix

J’attaque le dernier sentier en montée après le village de St Bernard. Je retrouve quelques forces et me remets à courir, décidant d’effacer douleur, fatigue et autres troubles inhabituels. Mais à l’approche du Colorado, je titube et frissonne. Mes forces me lâchent, j’ai peur de tomber et je m’appuie 2 ou 3 minutes contre un arbre. Débuts de vomissement et je reprends la route. Après 2 kilomètres, nouveau malaise, mon corps chauffe et je ne parviens plus à avancer. J’avance péniblement au dernier ravitaillement. Une bénévole inquiète me dit que je suis livide. Il ne me reste que 3 kms, mais en descente, de nuit et sur un sentier très technique. 4 verres de coca et quelques morceaux de saucisson doivent me permettre de tenir et finir.

Cette descente du Colorado sera mon chemin de croix : je tombe à 3 reprises et manque de dévaler hors de la piste. Mes hallucinations réapparaissent. Je suis persuadé de m’être égaré alors que je connais parfaitement ce sentier. J’ai le sentiment de m’éloigner de l’arrivée. Je monte vers le Colorado alors que je devrais descendre ! Au risque de glisser dans le ravin, je m’arrête sur le bas côté, hésitant à faire demi-tour. J’arrête 3 coureurs et leur signale que nous nous sommes dans le mauvais sens, il faut faire marche arrière… Mais le dernier des trois est affirmatif et me convainc que la fatigue fausse mes perceptions. Il me demande de le suivre, ce que je fais. Je termine finalement cette – courte – descente en 1h30 d’égarements physiques et mentaux.

C’est l’arrivée en 48 h 59 mn dans un stade au public chaleureux, malgré l’heure tardive. Il est 23h et c’est la fin d’une grande galère. La diagonale j’ai couru, fou je suis devenu».

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