Championnes dans l’ombre
Le Marathon de Paris, la plus grande manifestation sportive de l’Hexagone, doit une partie de sa notoriété à sa retransmission en direct par France Télévisions, il ne représente néanmoins qu’un quart de page dans l’Équipe du lundi, (le quotidien sportif appartenant pourtant au même groupe financier que l’organisation du marathon !). Seuls les vingt premiers hommes et les trois premières femmes y seront mentionnés. Les 35 000 autres acheteurs potentiels joueront les internautes, attendront leur diplôme par courrier ou la sortie du numéro spécial de Jogging pour connaître leurs place et temps officiel…
Les deux records du monde de marathon ont été battus cette année, seul les initiés citeront leurs auteurs : le Kenyan Tergat avec ses 2 heures et 4 minutes et la Britannique Paula Radcliffe en 2 h 15 mn. Tandis que cette dernière devenait championne d’Angleterre de marathon hommes et femmes confondus… le quadragénaire et fêtard Yannick Noah, vingt ans après sa victoire à Roland-Garros, battait récemment (déguisé en femme) la numéro un mondiale Justine Hénin lors d’un match exhibition de tennis forcément médiatisé… un monde sépare nos sports !
Le constat est pire, c’est vrai pour ce qui concerne les féminines. Si en tennis Mary Pierce et Amélie Mauresmo… sont connues du grand public, il n’en est pas de même de nos championnes de course à pied. J’ai piégé récemment un journaliste sportif spécialiste d’athlétisme incapable de me donner les noms des championnes de France en titre de cross-country, mais aussi du 5 000 m, du 10 000 m, du 10 km route, du semi-marathon, du marathon, du 100 km. Normal, la plupart de ces titres ne font même pas l’objet d’un flash d’info…
Pour atteindre, ne serait-ce que le niveau régional en course à pied, l’investissement doit être complet, quasi-quotidien. Moins puissante mais plus endurante dans le temps, une femme doit s’entraîner autant qu’un homme tout en conciliant des obligations sociales et familiales que la parité n’a pas encore égalisées ! La journée devient alors une course contre le temps où tout doit être organisé, programmé. Toutes les coureuses disent que courir est du temps réapproprié à soi-même, du bonheur, du bien-être. Pour la championne, malgré l’ingratitude et le peu de reconnaissance de ce sport, la course devient un moteur, le moyen d’exister pour elle-même, pour son entourage proche… Mais en pratique, seule une volonté supérieure à la moyenne permet d’atteindre la haute performance.
Des exemples : Christèle Daunay est championne de France du 5 000 mètres. Kiné à temps partiel, célibataire, son investissement est total ; souvent seule, les kilomètres s’enchaînent parfois tard le soir. Un objectif : courir les 5 km à près de 20 km/heure. Son rêve : participer aux jeux Olympiques. Il lui faudra courir la distance en moins de 15 minutes, minima dantesque imposé par la fédération. Magali Maggiolini et Karine Herry courent les 100 km en 7 h 40 mn (soit 2 marathons en 3 h 10 mn plus le rab), l’une vit seule avec ses trois jeunes enfants, travaille à mi-temps à la mairie de Nice, l’autre est médecin de campagne… la réussite est dans leur organisation de vie. Je précise que dans ces quelques exemples, le sponsoring n’existe pas ou peu, quelques aides ici et là de la part d’une collectivité ou autres avantages en nature de la part d’un équipementier ou d’un distributeur de produits diététiques.
Maintenant Paula court plus vite que moi, contrairement à l’exemple Noah, je ne la battrai pas dans un marathon. Je sens désormais de plus en plus le souffle des premières féminines dans mon dos, parfois l’une d’entre elles me double. Leur légèreté et leur aisance contrastent avec ma foulée saccadée usée par le temps. Je n’en suis que plus admiratif et c’est avec plaisir et galanterie que je m’accommoderai désormais de leur ouvrir la route… dans la mesure de mon possible.
Les championnes de France en titre. 5 000 mètres : Christèle Daunay (Endurance72), 10 km piste et route : Fatima Yvelain (Marseille), semi-marathon : Corinne Raux (Endurance72), marathon : Céline Cormerais (La Roche s/Yon), 100 km : Karine Herry (St Julien) sans oublier Laurence Duquenoy (Oignies) pour le cross-country
Rubrique « Entre nous », par Dominique Chauvelier
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