Au coeur de la Diagonale des Fous
Alexis prendra le départ, jeudi, de la Diagonale des Fous. Pas la première fois pour ce Parisien qui a ressorti de ses archives le récit de son aventure de 2016. Bonne lecture !
Deux mois après l’UTMB 2016, me voilà à la Réunion pour affronter un autre gros morceau : la Diagonale des Fous ! J’ai pris le temps de bosser mon plan de route… même au boulot (mais chut !). Après deux jours de farniente en bord de mer, où il y a un vent à décorner les bœufs, et à croiser quelques petits nouveaux inexpérimentés comme Antoine Guillon ou François D’Haene à la remise des dossards, c’est le grand jour !
Arrivé vers 19h30 pour un départ à 22 h, après avoir passé la journée à peaufiner les sacs (de course et ravitos), mangé et tenté de décompresser. Commence une longue attente où se mélangent, comme pour la SaintéLyon, ceux qui veulent faire la fête (l’orchestre et le speaker Ludovic Collet rivalisant en matière d’ambiance) et ceux qui tentent de se reposer. Ca discute stratégie de course et réglages de montre : victime du marketing, j’ai acheté une montre dernier cri. Pour, finalement, faute d’autonomie me servir du GPS uniquement sur les premiers kilomètres, afin de ne pas m’emballer, avant de me contenter des fonctions montre et altimètre pour la suite de l’épopée.
21h45, mouvement de foule, fausse alerte, mais on se retrouve tous debout, pressés comme des sardines, il fait chaud ! 21h55 ouverture des sas, ça pousse dans tous les sens, il faut retenir ses bidons de peur de se les faire arracher, les gens sont « fous » et se battent pour la moindre place, c’est pas comme si on avait 170 bornes à faire ! En fait, il y aura un étranglement du sentier à un moment (certains ont perdu 1 heure en 2015 et ont du coup trébuché sur les barrières horaires), alors les coureurs veulent partir vite pour éviter de se retrouver coincés après.
22h c’est parti, avec 7 km relativement plats. Nous essayons de rester ensemble avec Christophe et Didier, deux amis. Il y a une ambiance de folie, une haie d’honneur avec déjà comme leitmotiv « rendez-vous à la Redoute » du nom du stade à l’arrivée à Saint-Denis. La chaleur de l’accueil se mêle à celle du bord de mer. Petit coup au moral quand nous perdons Didier, parti devant, à un ravito. Et encore plus quand Christophe ralentit pour ne jamais me rattraper. Il abandonnera finalement à Cilaos. Se retrouver seul au bout d’à peine deux heures, ça fout un gros coup au moral et la fatigue en profite pour de suite s’installer. On ne passera donc pas la première nuit tous les trois avec un superbe lever de soleil au-dessus de la mer de nuage comme en 2015.
J’essaye du coup de garder ce rythme que j’imagine plus rapide qu’en 2015 (bah oui, pas de GPS, on fait donc ça au « doigt mouillé » !), aidé par ce véritable engouement que la course suscite sur l’île, et les chaleureux encouragements, anticipant que je devrais dormir davantage que l’année passée. 23h44, domaine Vidot, seulement 2 minutes d’avance par rapport à 2015, c’est pas gagné, je remets un coup de booster dans la montée. Notre Dame de la Paix (1565 m, 25 km et 4 h de course), -19 min par rapport à 2015, ça commence à payer. Un écart que je maintiendrai jusqu’au sommet à Piton Textor (2165m, 41 km et 7h30 de course). Il est donc 5h30 du mat, le moral est revenu avec le lever du jour, mais cette première bosse a laissé des traces.
Descente sur Mare à Boue et son délicieux ravito (on mange local, leur poulet au riz est une tuerie !), j’échange quelques mots avec Zinzin Reporter, mon « héros », qui tente et réussira l’enchaînement Tor des Géants ( 338km, 30900D+) et Diagonale des Fous (167km, 9920D+) en un mois ! Requinqué par de tels exploits, j’arrive à Cilaos (km 68) avec 1 h d’avance. Je prends le temps de me doucher, de me changer intégralement (« Balles neuves », mes chaussures sont explosées avec les terrains cassants du volcan !), de bien manger. Après-midi sans encombre, je profite enfin de cette nature luxuriante et si dépaysante.
Je passe le Sentier scout (90 km, 1800 m) à 19 h, avec toujours 1 h d’avance, mais la chaleur de la journée a pesé. Et là commence une douce et lente agonie avec la tombée de la nuit. Cette tant redoutée seconde nuit, du vendredi au samedi , où plus aucun plan ne remplacera une bonne gestion de son état physique et psychologique. Ma préparation mentale va alors entrer en piste, mais j’en ai apparemment laissé une bonne partie à Paris…
1000m de D- devant moi, qui adore d’habitude envoyer en descente. Et pourtant, arrivé à Ilet à Bourse, 10 minutes de perdues. Il n’est que 21h et je suis épuisé. Je me traîne jusqu’au km 100 (Grand Place Ecole), entame un repos de 15 minutes, et en repartant les bénévoles me voyant titubant me convainquent de remettre ça 30 minutes. Je n’avais pas prévu de m’arrêter si tôt et si longtemps, je n’en peux plus. « Mafate m’a tuer ! », ses chemins cassants, ses escaliers ont eu raison d’un mental que je pensais plus affûte. A l’euphorie de l’après-midi succède la détresse de la nuit. Par chance, je ne souffre pas de 3 des 4 maux maudits : déshydratation, troubles gastriques, ampoules au pied. Mais de fatigue extrême, et du coup adieu la lucidité.
Je ne pense qu’à « bâcher » en barrant mon dossard de 2 traits en …diagonale. Qu’est-ce que je fous là, qu’est-ce que je veux me prouver ? A quoi ça sert tout ça ? Le Tor des Géants, la PTL, c’est pas pour moi, faut oublier. Il n’y a aucun plaisir et dès que tu te relâches le sentier se rappelle à toi, avec au choix cailloux, racines ou branches ! Une montagne se dresse face à moi, et il m’est impossible de m’imaginer l’arrivée. « L’abandon n’est pas une option » aimais-je répéter, ben va falloir oublier ! J’en parle autour de moi, mais apparemment, là où je suis, on ne peut pas abandonner et il faut de toute façon continuer. Alors je redémarre avec pour seul objectif : survivre jusqu’au prochain ravito dodo à Roche Plate, 109ème km, pour profiter à nouveau d’un repos de 30 minutes, cette fois sur un lit de camp et sans plus se soucier du temps. J’en repars à 3h58, avec 1h10 de retard.
Miracle
Pourtant le miracle se produit sur la terrible ascension du Maïdo (on passe de 1100m à 2030m en 6 km !). Il faut à un moment décompresser, sortir du mode course, s’aérer les neurones. J’accélère enfin, requinqué par un sublime lever de soleil. Magie : au sommet km 115, j’ai repris 8 min. Mon orgueil a repris le dessus, à partir de ce moment, je demanderai systématiquement mon classement pour me motiver dans ma « remontée », car je sais que la fatigue reviendra, insidieusement. Petit ravito sympa, il y a de l’animation car j’arrive en même temps que la première femme du Trail de Bourbon, Gilberte Libel, une locale, que j’essaye de suivre sur cette interminable descente de 14 km de 2030m à 350m vers Sans Souci. Elle débute en montagnes russes, puis se succèdent des chemins parsemés de rondins à chevaucher. Je retrouve des sensations de glisse et arrive à ce deuxième gros ravito avec 35 minutes d’avance par rapport à 2015. Mais Gilberte, que j’ai suivie pendant 2-3 km, m’a mis 20 minutes dans la vue !
J’abuse des crêpes et me paye même le luxe d’une deuxième douche. On est 129ème km, ce n’est pas du luxe, ne serait-ce que pour éviter frottements et irritations. Résultat : au château Ratineau, km 138, je n’ai plus que 10 minutes d’avance. Je suis repassé en mode compét’. J’ai de la chance d’avoir un regain de forme, alors que la plupart des copains commencent à être cramés.
Alors je me mets à dépasser et envoyer même en montée (en marche rapide, on ne va pas courir non plus !), notamment sur le redoutable Chemin des anglais, où l’on passe d’un caillou à l’autre à cloche-pieds. Passage éclair à Possession. Il n’y a pas un chemin pareil, notamment le passage en forêt digne d’une course d’orientation où l’on s’amuse à chercher des balises dans une végétation chahutée où il faut mettre les mains en descente comme en montée. C’est comme si la Diag’ voulait nous offrir le meilleur de l’île (mis à part le passage par la décharge après la traversée de la rivière à Sans Souci). Je prends vraiment du plaisir, les ressources du corps seraient-elles infinies ?
Il est où le bus ?
Arrive la dernière montée avant la libération, Colorado, km 162. J’y arrive à 19h16, 45 minutes d’avance. En 2015, dans cette montée, je m’étais à un moment arrêté, attiré par deux coureurs assis à un arrêt de bus. Mécaniquement, je les avais rejoints, étant déjà bien atteint, et n’était reparti que lorsqu’un local nous avait dit : « A cette heure là il n’y a plus de bus ». Ce n’est qu’après coup que je m’étais rendu compte que ce n’était pas bien logique d’attendre un bus pour aller au sommet…lors d’une épreuve de course à pied ! S’en était suivi un très long arrêt en haut du Colorado, histoire de recouvrer mes esprits, de manger (j’étais affamé, n’ayant trouvé que des ravitos sucrés sur la fin de parcours alors que seul le salé passait, et épuisé). Puis la descente s’était faite au ralenti, sachant qu’il avait plu et que, souvenir de SaintéLyon, c’était aussi glissant sur les racines bien imbibées que sur le gel hexagonal !
Bref, je me dis que, là, il y a un coup à jouer. Arrivé au sommet à 19h16, je me renseigne sur le temps de descente : 45 minutes en envoyant, ça le fait. Mais il faudrait partir tout de suite sans même se ravitailler. Finalement je me lance après 5 minutes de remise à niveau et le temps d’enfiler le t-shirt de la course imposé pour l’entrée dans le stade. Mais je suis seul et c’est impossible de foncer… sans savoir où aller. Et là, divine surprise, je me fais dépasser par une concurrente du Trail de Bourbon à qui je demande si je peux m’accrocher. Il s’agit de Marie-Danielle Seroc, qui finira 4e féminine et 1re M2. Comme elle est devant, pas évident de discuter, car elle attaque grave. Il faut dire qu’elle joue à domicile et pourrait sans doute dévaler tout ça les yeux fermés. J’essaye de tenir la discussion, mais suis essoufflé et manque à 4-5 reprises de me retrouver les quatre fers en l’air. « Droit dans le pentu », nous dépassons les concurrents, certains tentent de s’accrocher. On entend la clameur venir de Saint-Denis, la Redoute tant attendue s’offre à nous. Très élégante Marie-Danielle me propose de faire l’arrivée ensemble, mais je ne veux pas lui voler la vedette…
J’ai survécu ! Deux heures de moins qu’en 2015 avec une dernière descente faite en 1h au lieu de presque 2h30, et je suis frais, mis à part des pieds qui en ont marre de sauter. Quand est-ce qu’on la refait ? Bah c’est simple, dès jeudi (NDLR : 19 octobre).
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