Musique et course à pied : quel impact ?
Même si elle est interdite sur les courses labellisées FFA, la musique reste l’une des meilleures compagnes des férus de course à pieds. Normal ! Selon plusieurs études scientifiques, elle aurait un impact sur nos capacités à courir plus vite et plus longtemps. Alors info ou intox ?
Véronique Bury, photos Vincent Lyky et DR
La musique adoucit les mœurs, dit-on. Elle booste aussi une grande partie des amateurs de courses à pied. Selon une étude de l’Observatoire du running, 68 % des coureurs occasionnels écoutent en effet de la musique lors de leurs sorties hebdomadaires. « Avec la musique, les sorties longues passent beaucoup plus vite », disent-ils. « On a l’impression d’avoir plus d’énergie », « Je trouve que ça aide pas mal sur certaines séances difficiles ».
Il faut dire que la musique n’est pas qu’une simple camarade d’entraînement. Elle peut aussi, dans certains cas, booster les performances des sportifs. Plusieurs études scientifiques menées sur ces trente dernières années ont en effet mis en évidence l’impact positif de la musique sur les performances sportives. En 1978, deux Américains, Ansehl et Marisi, ont ainsi prouvé qu’une musique synchronisée à un effort sur un vélo ergométrique aurait tendance à favoriser davantage l’endurance qu’une musique non synchronisée. Une dizaine d’années plus tard, en 1991, deux autres chercheurs américains, Copland et Francks, ont à leur tour mis en évidence qu’une fréquence musicale douce et lente avait elle aussi des effets positifs sur les capacités d’endurance dans le sens où elle contribuerait à réduire significativement l’excitation physiologique et psychologique qui apparaît lors d’efforts de puissance submaximale (proche du seuil anaérobie) et donc par conséquent à améliorer la performance à l’endurance.
Détourner son attention de l’effort
D’un autre côté, l’utilisation d’une musique plus rythmée aurait tendance elle aussi à booster le sportif en atténuant les sensations de fatigue et en développant ses facultés de coordination. Une étude menée en 1996 par le professeur Mills sur un groupe de 500 collégiens effectuant différents types d’exercices avec et sans musique a ainsi montré une amélioration des capacités physiques pour le groupe travaillant en musique et plus particulièrement en musique au tempo élevé.
Trois ans plus tard, une autre étude menée par l’université de Nottingham en Angleterre (Szabo, Small, Leigh, 1999) a également mis en évidence qu’un sportif était capable de fournir plus d’efforts, lors d’un exercice intensif quand il écoutait de la musique rapide. Cette expérience menée sur 24 candidats, soumis à un test d’effort sur vélo ergométrique, montrait en effet que les participants avaient une capacité plus élevée en termes de charge de travail mais aussi une meilleure efficacité (le sportif était capable de fournir plus de travail pour une même fréquence cardiaque) lorsque la musique passait de lente à rapide au moment où les participants atteignaient 70% de leur fréquence cardiaque de réserve. Les chercheurs avaient alors émis l’hypothèse que la musique rapide permettait au sportif de détourner son attention de la fatigue occasionnée par l’exercice et donc de fournir plus d’effort. Des analyses sanguines pilotées par les chercheurs américains Smzedra et Bacarach ont par la suite étayées cette hypothèse stipulant que l’écoute de chansons pendant l’effort permettrait au corps de moins puiser dans ses réserves énergétiques.
La musique augmente le bonheur
D’autres spécialistes estiment que la musique aurait un rôle similaire dans le cerveau que celui des endorphines secrétées pendant l’effort. C’est-à-dire qu’elle stimulerait les neurotransmetteurs que sont la dopamine et la sérotonine et contribuerait à augmenter le bonheur et le bien-être du coureur en pleine activité, ce qui contribuerait à augmenter la tolérance à l’effort et à diminuer les sensations de malaise qui découlent de l’activité physique. C’est en tous cas sur la base de ces études que Denis Dhekaier et son associé ont lancé, il y a plus de dix ans, Jiwok, une application pour smartphone qui allie justement programmes sportifs et morceaux musicaux. « Quand on a commencé, on est parti du constat que la musique avait un impact sur le sport, mais à l’époque on ne savait pas trop comment cela pouvait fonctionner, quels étaient les bons mélanges et les bons enchainements », explique le dirigeant qui s’est alors rapproché du Creps de Montpellier et du pôle de triathlon pour effectuer des tests scientifiques avec différents athlètes. « Cela nous a permis d’en déduire un certain nombre de concepts que l’on a appliqués directement dans l’application. »
Comment rendre la musique efficace ?
Car si la musique peut effectivement booster les performances des amateurs de courses à pieds (les études montrent beaucoup moins d’effets, voire pas du tout, sur les athlètes élite), il faut pour cela respecter un certain nombre de paramètres.
- Avant toute chose, il faut que la musique soit au goût de la personne qui court. « Sans ça, la musique va l’ennuyer et l’effet sera contre-productif alors que l’idée première est justement de l’encourager en combattant la lassitude. »
- Deuxième paramètre à respecter : le rythme de la musique choisie. Il doit en effet être adapté au rythme de la séance effectuée, car sans cela, il risque d’entraîner le coureur sur des allures plus élevées que celles qu’il devrait respecter et donc avoir là aussi l’effet inverse à celui escompté. Car « inconsciemment, le coureur se cale sur le tempo de la chanson qu’il écoute, affirme Denis Dhekaier. Donc, s’il se retrouve sur une séance de fractionné avec des phases lentes au moment où il doit accélérer ou inversement, cela ne peut pas fonctionner. »
C’est d’ailleurs pour cette raison que Jiwok a développé une technologie qui détecte le tempo des différentes playlists des utilisateurs. « On peut ainsi réordonner et couper les morceaux au bon moment afin que la musique soit cadencée à la séance que l’on souhaite effectuer ». Une chouette façon de rythmer sa foulée sans avoir l’œil rivé sur sa montre…
- Enfin, la représentation culturelle que peut avoir la chanson dans notre vie personnelle peut aussi jouer un rôle important sur la manière dont la musique impactera notre séance. « L’exemple le plus concret est sans doute la musique de Rocky (NDLR : Eye of the tiger du groupe Survivor), explique Denis Dhekaier. À la base, c’est déjà une bonne chanson stimulante, mais le fait qu’elle soit liée au film, à l’effort physique, au dépassement, elle peut avoir un impact encore plus important pour tous ceux qui ont aimé ce film. Même chose pour les Français avec la chanson I will survive de Gloria Gaynor qui symbolise l’euphorie de la victoire de la Coupe du monde de football et qui peut là aussi créer une certaine énergie, une joie intérieure qui donne des ailes quand on court. »
La musique n’est pas un dopant mécanique !
Bien entendu, même si les études scientifiques sont nombreuses à souligner un certain impact sur la foulée des coureurs, la musique ne fera pas de vous un champion. « Elle peut nous aider à combattre la lassitude, à se sentir davantage porté, à aller plus loin dans notre effort. Grâce à elle, on pourra sans doute courir un peu plus longtemps ou un peu plus vite peut-être sur des séances de fractionné, mais elle ne nous fera pas gagner des heures et des minutes », prévient Denis Dhekaier, qui se refuse à parler de dopage technologique, même si la FFA s’est décidée à interdire l’utilisation de la musique sur les courses labellisées en 2015. Pour lui, comme pour beaucoup de coureurs, la musique reste avant tout une aide précieuse à la motivation. Une super camarade d’entraînement pour tous ceux qui partent courir en mode solo. À condition bien sûr de savoir l’utiliser à bon escient.
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