Marathon de New-York : le mythe est-il écorné ?
Épreuve la plus prestigieuse et populaire du calendrier running sur route, le Marathon de New-York sera couru ce 6 novembre. Cette 51è édition marquera le retour à une certaine normalité après l’annulation de 2020 et l’édition étriquée de 2021. Mais l’âge d’or n’est-il pas désormais histoire ancienne ?
La façade n’a pas bougé. Impeccable. Irrésistible. Le New York Road Runners (NYRR), qui organise le marathon de la ville, pousse le sens du détail jusqu’à ses confins. D’autres épreuves majeures – de Tokyo à Boston, en passant par Londres et Berlin – sont organisées au cordeau, sans que la moindre anicroche ne soit tolérée. Mais New-York, c’est encore autre chose. Il y a ce glamour, le sentiment de vivre un moment historique. Chacun à sa manière, chacune et chacun à son allure. Plus de 50 000 concurrents s’élanceront cette année, qui marque notamment le retour des Français, privés de la course l’an dernier, faute d’accès au pays. Mais l’ambiance sera-t-elle aussi exubérante qu’à l’accoutumée ?
2012 : année noire qui marque un tournant
La première encoche au mythe remonte à 2012 et à l’annulation en catimini de l’épreuve après le passage de la tempête Sandy. Des dizaines de morts, une ville en partie dévastée : Michael Bloomberg, le Maire de l’époque, avait d’abord affirmé : « Le marathon doit avoir lieu. C’est un événement formidable pour New-York. Ceux qui ont perdu la vie voudraient que nous allions de l’avant. » Mais le marathon n’avait pas eu lieu. Mary Wittenberg, la très charismatique directrice de l’épreuve, perdant son poste dans l’affaire. Surtout, le lien entre les New-Yorkais et leur rendez-vous du premier dimanche de novembre semblait s’être distendu. Comme si les marathoniens, par leur seule présence, avaient contrarié les opérations de secours…
25 020 concurrents ont bouclé l’édition 2021 du Marathon de New-York
Puis vint le Covid-19. L’édition 2020 fut annulée, comme le furent la quasi totalité des épreuves running lors de la première vague de la pandémie. Au mois de novembre 2021, New-York fêtait son 50è anniversaire avec une jauge réduite. 33 000 participants (soit près la moitié moins qu’en temps ordinaire) et à peine plus de 25 000 finishers. Mais l’essentiel, sans doute, n’était pas là. L’agglomération la plus peuplée des Etats-Unis a été d’autant plus touchée par le Covid-19 que la décision politique du « quoi qu’il en coûte » prônée en France n’avait pas été entérinée par les autorités fédérales américaines. Laissant nombre de sociétés – artisans, commerçants – mais aussi de structures sportives et culturelles dans une situation rapidement intenable. New York a souffert et souffre encore. Les habitants qui ont connu trois décennies d’une insolente prospérité avouent volontiers ne plus reconnaître leur ville. La pauvreté y est de retour avec une explosion du nombre de sans-abris ; la violence aussi qui contrarie le quotidien de citoyens déshabitués de devoir prendre des précautions dans leurs déplacements et dans les lieux qu’ils fréquentent.
Une épreuve réputée pour son ambiance
Le marathon de la ville doit en grande partie sa réputation à l’enthousiasme de la foule – généralement estimée à plus de deux millions – massée tout au long des 42,195km (hormis lors de la traversée des ponts). Un parcours cassant ou des conditions météo parfois difficiles n’ont jamais dissuadé celles et ceux qui veulent s’offrir un petit moment d’éternité. L’entrée dans Manhattan, après le départ à Staten Island et les traversées de Brooklyn puis du Queens, est définitivement l’instant le plus euphorisant qui soit pour un coureur. Cette remontée de la 1ère avenue sous les vivas récompense de tous les efforts consentis à l’entraînement et valide, une bonne fois pour toutes, le bonheur d’être marathonien. Mais seront-ils aussi nombreux, ces New-Yorkais enthousiastes, ce dimanche 6 novembre, pour applaudir des athlètes venant d’une centaine de pays ? Pas certain.
Marathon de New-York : un dossard à 550€
Des milliers de Français prennent chaque année le départ de l’épreuve new-yorkaise. A l’image des autres coureurs ne résidant pas aux Etats-Unis, ils peuvent un obtenir un dossard garanti dès lors qu’ils achètent un package auprès des voyagistes affiliés par le NYRR (six sociétés hexagonales sont dans ce cas). Et New-York, jusqu’à un passé récent, affichait complet des mois à l’avance. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La raison principale étant le coût des formules proposées. Plus de 3 000€ par personne (et souvent beaucoup plus) pour le voyage en avion et l’hébergement en chambre individuelle dans un hôtel de Manhattan. Ajouter à cette somme les taxes d’aéroport, les repas, les extras et le cout astronomique du dossard fixé par l’organisation à 550 euros. L’addition dépasse donc aisément les 5 000 euros ! On l’aura compris : New York n’est pas pour toutes les bourses. Certains acceptent encore de faire des sacrifices, des années durant, pour pouvoir se payer ce marathon. Mais ils sont de moins en moins nombreux.
MARATHON : NOTRE DOSSIER POUR VOUS ACCOMPAGNER
S’ajoutent à cela les incertitudes liées à la situation sanitaire (une preuve de vaccination contre le Covid-19 est en principe exigée aux concurrents par le NYRR) et aux conséquences du dérèglement climatique : est-il vraiment raisonnable de traverser à deux reprises l’Atlantique en avion pour courir 42,195km ? A cette question, de nombreux coureurs répondent désormais par la négative. Sans pour autant fragiliser l’édifice. Les six marathons dits majeurs (Tokyo, Londres, Boston, Berlin, Chicago et New York) ont les reins solides. Il faudrait beaucoup plus qu’une crise sanitaire pour remettre en cause leur modèle économique florissant. Et Paris, à un niveau plus modeste, confirme la tendance : les 42,195km des grandes métropoles attirent de plus en plus massivement les primo marathoniens. Avec la conséquence de faire disparaître nombre d’épreuves autrefois solidement implantées dans le calendrier – telles que le Mont-Saint-Michel.
Quid de l’avenir du Marathon de New-York ?
Olivier Gaillard, un marathonien de haut niveau avec un record personnel à 2h31, était inscrit pour l’édition 2012 – celle qui a été annulée en raison de la tempête Sandy. Il souhaitait alors fêter son 30e anniversaire. C’est finalement, le 40è qu’il célébrera sur le bitume de la Grosse Pomme. Non sans quelques états d’âme. « J’ai débuté l’athlétisme à l’âge de 14 ans et mon rêve était déjà de courir le Marathon de New York. Je vais donc réaliser mon rêve. Mais je sais que je contribue à entretenir un système qui me déplait, qui est devenu un truc de riches. Et la course à pied, pour moi, ce n’est pas ça. » Olivier admet : « C’est la conséquence de l’offre et de la demande. Les gros marathons sont de moins en moins accessibles. » Et d’ajouter qu’il a ficelé un voyage de dix jours en famille, sans passer par un voyagiste. « Je regarderais moins le chrono qu’à l’ordinaire. Je veux profiter au maximum de la course, sans me prendre le mur dans les dix derniers kilomètres au point de ne plus savoir où je suis. Le principal, c’est la découverte de la ville… »
Pour sa défense, le NYRR peut faire valoir son activité communautaire, la place qu’il occupe dans la vie sportive new-yorkaise et ses nombreuses initiatives en direction de populations peu concernées, pour des raisons sociales ou culturelles, par le running. De plus, les organisateurs de marathons ont aux Etats-Unis des charges autrement plus importantes qu’en France. La sécurisation du parcours, gérée par le NYPD, est ainsi facturée au NYRR. Pour toutes ces raisons, et même si le Marathon de New York – via notamment un généreux sponsoring et les revenus générés notamment par la vente de produits dérivés – demeure une affaire florissante, il est difficile de critiquer certaines des décisions financières prises par l’organisation. Reste toutefois l’essentiel : la place qu’occupe et qu’occupera ce marathon dans le calendrier et jusque dans l’inconscient des coureurs des cinq continents à l’horizon 2030. Cela demeure difficilement prévisible. Mais à l’heure où le voyage aérien est de plus en plus critiqué, à l’heure surtout d’une crise économique majeure (sans même évoquer la persistance du Covid-19 ou le conflit en Ukraine), il est possible que le Marathon de New York perde un peu de sa superbe. Dans le cœur des coureurs français, en tout cas…