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Dans les pas des fermeurs de l’UTMB

Par Cécile Bertin , le 2 septembre 2022 , mis à jour le 14 septembre 2022 - 6 minutes de lecture
Fermeurs de l'UTMB

Cette année, comme chaque année sur l’UTMB, tout le monde était focalisé sur la bataille entre les élites . Qui de Kilian, Mathieu ou Jim arriverait premier à Chamonix ? Et si on parlait un peu de tous les autres et plus particulièrement de ces bénévoles qui font tout pour qu’il y ait un dernier sur la ligne d’arrivée ? Je me suis donc glissée à l’arrière de la course avec les fermeurs de l’UTMB, chargés d’accompagner et sécuriser les tout derniers concurrents.

Une fois n’est pas coutume, je vais sortir de ma réserve journalistique parce que ce que j’ai vécu aux côtés des « fermeurs » de l’UTMB m’a finalement bouleversée plus que je ne m’y attendais. Et c’est mon expérience, mon vécu, que je souhaite aujourd’hui partager avec vous. Commençons par le commencement. Ici à Chamonix, Michel Poletti, créateur de ce désormais trail légendaire, tient au nom de « fermeur » et non celui de « serre file » comme on le voit ailleurs. Tout simplement parce qu’ils ferment réellement la course et que ce sont vraiment les tout derniers à passer la ligne d’arrivée avant de rejoindre le podium où ils seront acclamés aux côtés des élites.

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A quoi servent les fermeurs de l’UTMB ?

Bien entendu, ils ne font pas toute la course de bout en bout, ce ne serait tout simplement pas possible. Non pas qu’ils n’aient pas le niveau mais simplement pour une histoire de logistique. Plusieurs équipes sont donc créées, qui se relaieront de ravitaillement en ravitaillement. La dernière équipe part de Vallorcine le dimanche, à 11h juste derrière le dernier concurrent à quitter les lieux. Lorsque j’ai contacté quelques semaines auparavant le responsable de ce petit groupe afin d’en apprendre un peu plus avant de m’incruster, j’ai découvert un point que je n’avais pas intégré : la dernière barrière n’est pas à Vallorcine, elle est à la Flégère soit, à 6.9km de l’arrivée… C’est de cet endroit où, quand les vents sont favorables (ou défavorables, tout dépend de quel côté on se place évidemment) on entend la voix du speaker de la ligne d’arrivée monter du fond de la vallée. Comme beaucoup je pense, je me dis que c’est trop cruel. Comment peut-on arrêter des coureurs qui ont tout donné, bravant la montagne depuis 165km et plusieurs dizaines d’heures de course, à quelque kilomètres de l’arrivée ? Cela s’apparente à sacrifier des heures et des heures d’entraînement, sans parler des sommes investies par ces personnes. Aujourd’hui, après plusieurs heures dans la montagne à leurs côtés, j’ai compris. Et c’est ce que je vais vous raconter.

Fermeurs de l'UTMB (4)
Les fermeurs de l’UTMB sont répartis en plusieurs petits groupes sur l’ensemble du parcours.

Huit fermeurs de l’UTMB ? Non ce n’est pas de trop !

Dimanche, après une balade en train pour venir de Chamonix, je fais la connaissance de mes compagnons du jour : Cécile, Antoine, Bertrand, Claude, Guillaume, Paul, Tao et Valentin. Ils sont huit au total, chiffre qui, sur le coup, me surprend un peu. A-t-on réellement besoin de tout ce monde pour fermer une course ? Attention spoiler : non seulement il faut au moins ça mais un ou deux de plus n’aurait pas été de trop ! Talkies, balises, la petite équipe s’équipe avant de partir dans les pas des derniers qui ont réussi à passer cette foutue barrière horaire de Vallorcine à 15 km de la ligne d’arrivée.

Volontairement pour préserver leur anonymat je ne donnerai aucun prénom, aucun numéro de dossard, des personnes que j’ai rencontrée durant cette immersion Je pense que vous le comprendrez aisément. Ces quelques heures à leurs côtés était en réalité une véritable plongée dans leur intimité. Il est hors de question que je la dévoile ici. Je suis ultra-traileuse moi-même et ça m’est arrivée d’être arrêtée, ou d’être rattrapée un jour par la patrouille donc je connais cette sensation particulière d’avoir le sentiment qu’un fantôme vêtu de noir et portant une fauche te suit partout…

Les anges gardiens des coureurs désorientés

Je m’attendais, naïvement peut être, à tomber sur des personnes blessées. Je ne m’attendais pas à tomber sur autant de personnes totalement perdues, déboussolées, ne sachant même plus où elles étaient. Notre première rencontre sera unique en son genre puisque c’est la première fois que ces « vieux briscards » de la fermeture auront à gérer un cas pareil. Un monsieur d’un certain âge marche très lentement mais marche tout de même sans sembler vraiment souffrir (à ce rythme, la dernière barrière n’est absolument pas atteignable). Il engage la conversation mais très vite, il ne faut pas avoir fait huit années de médecine pour comprendre que ses propos manquent clairement de lucidité. Tout d’un coup, il s’arrête et nous demande si nous comptons rester là. Nous lui expliquons avec beaucoup de bienveillance que oui, c’est le rôle des fermeurs de rester derrière le dernier mais que, s’il le souhaite, nous pouvons rester quelques mètres derrière lui. Il repart et s’arrête de nouveau pour nous déclarer « je veux être totalement seul, puisque c’est comme ça, je rentre ». Et il fait demi-tour… Si sur le papier il aurait été facile de dire « eh bien qu’il rentre tout seul », ces propos que j’ai résumé en quelques mots sont tellement délirants qu’il est hors de question de le laisser repartir sur un parcours où il pourrait se mettre en danger. Il est donc décidé d’envoyer deux personnes pour le suivre de loin afin de s’assurer qu’il retourne en toute sécurité à Vallorcine. Et c’est là que tout part en vrille ! Il réalise qu’on le suit, passera de longues minutes à aller se planquer pour ne pas être rattrapé par la patrouille, avant d’enfin accepter rendre son dossard, tout en continuant à tenir des propos toujours aussi délirants.

Fermeurs de l'UTMB
Les fermeurs de l’UTMB surveillent d’un coin de l’oeil les coureurs désorientés.

Une réorganisation obligatoire

Ce ne sera pas notre seul cas dans le même genre… Alors que nous montons vers la Tête au Vent, nous tombons sur un coureur qui redescend d’un bon pas. Nous l’arrêtons pour prendre de ses nouvelles et alors que nous nous attendions à ce qu’il nous réponde quelque chose comme « j’ai compris que je n’aurais pas la barrière horaire, je redescends et on vient me récupérer au col des Montets », nous avons le droit à un « Je suis allé à Chamonix et maintenant je rentre chez moi ». Bon, vous me direz, on a déjà vu des histoires du même acabit mais là tout de suite, le doute s’installe.

Un appel au PC course suffit à nous confirmer ce que nous subodorions, il n’a même jamais passé le poste de la Flégère… Il faudra là aussi toute la bienveillance du monde pour lui expliquer que pour sa sécurité, il doit d’abord rejoindre un autre coureur blessé que nous avions laissé entre les mains de deux fermeurs restés avec lui. Le plus déroutant c’est qu’il a accepté son sort sans broncher, avant d’être pris en charge par les secours. Coureur après coureur nous allons tant bien que mal rejoindre le dernier ravitaillement et pour la première fois, le retard pris pour la prise en charge de nombreux coureurs en détresse physique ou mentale n’aura pas permis aux fermeurs de partir avec le dernier encore en course. Ce sont deux bénévoles du poste qui sont partis dans sa foulée avant d’être rattrapés par l’équipe officielle pour qu’ils puissent officiellement refermer cette édition 2022.

Fermeurs de l'UTMB

Les fermeurs de l’UTMB : accompagner et sécuriser

Je suis sortie de cette expérience bouleversée parce que j’ai vu dans le regard de ces hommes et ces femmes quelque chose que je ne m’attendais pas à voir. Je m’attendais à de la tristesse d’avoir raté leur objectif de si peu… Je m’attendais même à des pleurs, des cris… Mais j’ai surtout vu une détresse qui m’a totalement convaincue que cette foutue dernière barrière horaire n’était pas là pour rien et qu’elle permettait vraiment d’éviter que se jettent dans la descente des personnes totalement déboussolées. Pour avoir eu le débrief d’un coureur que j’ai accompagné, que je connaissais et qui ne m’a même pas reconnue, il a avoué à son assistance avoir connu d’énormes trous noirs sur toute cette dernière partie de course.

On évoque souvent avec amusement les hallucinations, mais là, il ne s’agit pas d’avoir vu des marmottes sur le chemin, il s’agit vraiment de déconnexion totale entre le corps et l’esprit. Un fermeur n’est pas là pour briser un rêve, il est là pour accompagner, pour mettre en sécurité et rien que pour ça, ils méritent le plus grand respect.

Crédits photos : Christophe Boillon et Cécile Bertin

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